jeudi 28 janvier 2010

Sorte d'iPhone géant


C'était devenu le secret le moins bien gardé de la planète high-tech. Mercredi 27 janvier, en direct de San Francisco, Steve Jobs, le patron d'Apple, a bien dévoilé un nouveau produit, une "tablette" : l'iPad.

Sorte d'iPhone géant, avec un écran presque de la taille d'une page A4 (9,7 pouces), l'engin pourra se connecter à Internet, permettra d'accéder à quasiment tout l'AppStore, le magasin d'applications de l'iPhone. Il proposera l'accès à une librairie de livres numérisés. Puissant comme un ordinateur, il disposera aussi de logiciels de bureautique. Il sera vendu à partir de 499 dollars (pour la version WiFi et 16 GB de mémoire), mais ne sera pas disponible avant fin mars. "Mieux qu'un ordinateur, mieux qu'un téléphone, c'est la meilleure expérience que vous puissiez jamais faire", a lancé M. Jobs, pas avare de superlatifs.

Pour les spécialistes, la plupart enthousiastes, l'iPad pourrait redessiner, à grande échelle, les contours du marché de l'électronique grand public, faire émerger de nouveaux usages, services et contenus, voire sauver une partie des médias, piégés par la logique du gratuit sur Internet... Parce qu'il ressemble enfin à l'engin hybride, cette "tablette" qui fait fantasmer toute l'industrie informatique depuis des décennies.

Il faut dire qu'en moins de dix ans, Apple a prouvé qu'il était capable de faire bouger les lignes. En grande difficulté au milieu des années 1990, le groupe américain a non seulement réussi à redevenir une société ultra-rentable (3,4 milliards de dollars de profit - 2,4 milliards d'euros - pour 15,7 milliards de chiffre d'affaires au premier trimestre 2010), mais aussi à sortir de son métier d'origine, la micro-informatique. Avec deux produits de rupture. L'iPod, son baladeur musical lancé en 2001, devenu quasiment un standard (250 millions d'exemplaires vendus), a contribué à populariser l'achat de musique sur Internet. Commercialisé en 2007, l'iPhone, premier téléphone entièrement tactile du marché, est à l'origine de l'essor des "applications mobiles", ces services (météo, GPS, etc.) ou contenus (actualités, TV, radios, jeux), auxquels on accède en mobilité. L'iPhone représente désormais 23 % des revenus du groupe.

Mais avant de provoquer lui aussi un "big bang", encore faut-il que l'iPad se vende : qu'en est-il réellement de son potentiel commercial ? Il a d'abord pour lui son prix : "Il est vraiment bas, vraiment beaucoup plus bas que ce à quoi nous nous attendions", selon Carolina Milanesi, analyste pour le cabinet Gartner Group. "C'est vraiment un prix d'attaque", ajoute Jean-Louis Gassée, ex-vice-président d'Apple.

"Je veux qu'il puisse être entre les mains du plus grand nombre possible de gens", a clamé M. Jobs mercredi. Avec un prix entre 500 et 800 dollars (pour les options avancées), Apple peut espérer vendre aux consommateurs tentés par un "mini-ordinateur", cette catégorie apparue sur le marché il y a deux ans et qui fait aujourd'hui un tabac. Il pourrait aussi convaincre ceux qui hésitent à s'offrir une "liseuse" électronique, un Kindle d'Amazon ou un e-Reader de Sony : l'iPad est deux fois plus cher, mais c'est aussi un ordinateur, il propose la couleur et les fonctions tactiles. Steve Jobs a enfoncé le clou : "Amazon a fait un travail formidable avec le Kindle, mais nous allons le dépasser."

Ce n'est certes pas exactement la première tablette du marché : il y a bien l'Archos 5, de la société française Archos. Cette tablette a bénéficié d'un bon accueil critique. Mais elle ne peut compter sur la puissance de feu marketing d'un Apple, qui pèse presque 50 milliards de dollars de chiffres d'affaires annuel. Anticipant le lancement de l'iPad, les autres géants de l'informatique, HP, Acer, Microsoft, ont tous des ambitions, mais leurs machines sont encore à l'état de prototypes.

Ordinateur, "liseuse"...

Surtout, Apple dispose de deux puissants atouts. Le design de l'appareil : l'iPad adopte les mêmes lignes épurées que celles de l'iPhone. La tablette permet aussi d'accéder au "magasin d'applications" de l'iPhone, avec ses désormais 130 000 jeux, fils d'actualités, magazines, services de géolocalisation, etc.

Cette offre pléthorique constitue un énorme avantage concurrentiel par rapport aux éventuels concurrents. Ces derniers mettront sans doute des mois avant de parvenir à convaincre les éditeurs d'adapter leur contenu à leurs engins. Par ailleurs, l'iPad, grâce à son grand écran, permettra théoriquement de tirer encore davantage parti du tactile, et de proposer des jeux ou des programmes audiovisuels encore plus convaincants que sur l'iPhone. Mercredi, les analystes ont cependant été un peu déçus du faible nombre de contenus vraiment nouveaux par rapport à l'iPhone.

Mais précisément parce qu'il est hybride, à la fois ordinateur, console de jeu, "liseuse", écran de télévision, l'Ipad n'a pas été conçu pour répondre à un besoin spécifique, et pourrait avoir du mal à convaincre au-delà du cercle des Applemaniaques. Pourtant, les concurrents semblent y croire : "Aujourd'hui, sur les marchés occidentaux, nous sommes entrés dans une phase de multi-équipement. Il y a un besoin pour un terminal personnel, qui s'utilise sur son canapé par exemple, pour accéder à ses contenus, ses e-mails, ses réseaux sociaux, ses photos plus vite qu'en allumant un ordinateur", selon Olivier Gillet, directeur marketing de HP France.

"C'est parce que les dirigeants d'Apple ont constaté, à leur grande surprise, que l'iPod Touch, qui est pourtant un iPhone sans la fonction téléphonique, marchait bien, qu'ils croient aujourd'hui au succès de cette tablette comme plate-forme de distribution de contenus", croit savoir un proche du groupe informatique.

Combien de milliards l'iPad pourrait-il rapporter à Apple ? A ce stade, beaucoup partagent l'opinion de M. Gassée : "Le marché de masse, c'est celui de l'iPhone."